Eléments pour une psychothérapie adaptée à la diversité trans* (D. Medico)

Extraits d’un article de Denise Medico, psychologue et professeure de psychologie.

[Préambule :

Tant de troubles dans le genre qui le sont parce que nous sommes troublé.e.s par tout ce qui, au sein de nos identités, de nos orientations, de nos sensations, déjouent les prescriptions et les attentes normées.

Très peu de ressources, encore, sur des pratiques psychothérapeutiques ouvertes à la fluidité de genre, à la diversité des expériences du genre. La psychologie – dans sa réflexion théorique comme clinique – reste encore, particulièrement dans ces domaines, marquée par des conceptions classiques, conservatrices, normatives et pathologisantes. Tant de personnes encore qui doivent encore subir, comme l’article ci-dessous l’évoque au sujet des personnes trans*, des « suivis psychologiques » maltraitants. La psychologie dominante reste encore bien loin des travaux menés depuis des années dans les autres sciences sociales, notamment dans les études de genre (gender studies) et dans les études queer (queer studies).

Parmi ces rares ressources, des écrits de Denise Medico, psychologue et professeur de psychologie (Université du Québec, Montréal). Ci-dessous, quelques extraits d’un article qui permet, à partir des situations singulières des personnes trans*, de proposer quelques guides et chemins pour des formes d’accompagnement psychothérapeutiques ajustées.]

L’article complet est accessible en ligne sur Cairn.

(Les italiques sont de l’autrice. Les gras sont de moi.)

Bonne lecture !


Eléments pour une psychothérapie adaptée à la diversité trans* (Denise Medico)

Introduction : deux visions de la question trans* (1) pour des pratiques cliniques très différentes

Pour la psychothérapie, l’enjeu actuel de la prise en soin des personnes qui ressentent une construction de leur genre différente de la norme sociale (2) peut ainsi être résumé en une question : doit-on penser en termes de trouble d’identité de genre et donc de transsexualisme ou en termes de « personnes transgenres » ? Le fait même de tenter de définir qui sont les personnes transgenres relève déjà d’un choix théorique et d’un positionnement idéologico-politique. Deux manières d’envisager la question transgenre s’opposent actuellement (Bockting, 2008 ; Bolin, 1994) : d’une part, selon un paradigme dit « de la dichotomie » qui l’envisage comme un trouble de l’identité de genre et, d’autre part, selon un paradigme « de la diversité » qui la voit comme une expérience de soi et du monde, une culture, une question de citoyenneté et de rapport d’inclusion/exclusion avec le social. Ces deux visions sont si différentes qu’elles semblent presque ne pas parler des mêmes personnes.

Le paradigme de la dichotomie met l’accent sur la « question transsexuelle ». Or, cette question est dénoncée comme étant une construction médicale et un diagnostic plutôt qu’une identité (Hirschauer, 1997 ; Prosser, 1998). Elle véhicule l’idée d’une « erreur sur le corps » qui serait associée à une non concordance entre un cerveau et un corps anatomique (Diamond, 2001, 2004 ; Zhou et al., 1995) (3) et s’inscrit dans une naturalisation des catégories de genre et dans un recours constant aux normes sociales comme définition de la normalité du genre, elle-même associée à une normalité psychologique. Tout écart à une norme du genre serait le signe d’un problème individuel dont les origines peuvent être diverses, tant psycho-développementales que somatiques. Les causes incriminées varient d’ailleurs en fonction des différents courants de pensée auxquels se rattachent les chercheurs et intervenants. L’identité de genre y est définie comme un sentiment d’appartenance au sexe biologique qui est lui-même décrit sur un continuum allant de la conformité de genre (mâle/masculin et femelle/féminine) à la transsexualité – qui serait la forme la plus extrême du trouble de l’identité. De plus, l’identité est perçue comme une unité ayant une certaine stabilité dans le temps. La position transsexuelle serait ainsi l’indice d’une inversion qu’il s’agirait de corriger par un retour vers un genre bien identifié et en congruence avec l’aspect corporel. Dans ce contexte, le vocabulaire utilisé met en avant des catégories comme transsexuelle primaire, transsexuelle secondaire et transvestie. Ces nominations utilisées par la clinique sont également endossées par une partie des personnes concernées. De cette conception découle tout un ensemble de pratiques médicales, cliniques, psychologiques qui sont actuellement dominantes. Ces pratiques visent à reconstruire une certaine normalité dans une cohérence entre genre et corps, à encadrer médicalement et psychiatriquement une transition transsexuelle.

Le second paradigme, celui de la diversité, réfère à une réalité sociale et expérientielle, et applique des concepts de transgenre, transgendérisme et identités trans* – ou transidentités (4). Cette conception s’inscrit, en règle générale, dans une vision non essentialiste du genre, et défend la notion de diversité et variété des expériences du genre. Elle est utilisée dans différents domaines d’étude dont la santé publique, les sciences sociales (sociologie, ethnologie), les études genres, ainsi que par une partie de la communauté trans*, généralement la plus politisée. L’identité de genre y est considérée comme pouvant être multiple et prendre différentes formes, changer dans le temps ou rester stable. Le genre n’est pas forcément conçu ici comme un continuum, mais représente plutôt des agencements multiples pouvant adopter différentes configurations et sans référence à une expression normée du genre et des rapports entre le genre et le corps (Bockting, 2008 ; Burdge, 2007 ; Butler, 1993a, 2006a, 2006b ; Nestle et al., 2002 ; Weeks, 1985, 1987). Cette conception est manifeste chez les auteurs dits « post-structuralistes » et s’enracine dans une tradition critique des études sur la sexualité (5). Ce second paradigme de la diversité refuse toute naturalisation du lien corps/genre. Il adopte une terminologie différente, tout à fait en dehors de la typologie des « troubles de l’identité de genre », au profit du concept de personnes transgenres.

Ce changement de registre peut également être décrit comme le passage du « transsexuel », figure médicalisée et définie uniquement à travers une psychologisation/pathologisation, à « transgenre », citoyen à la jonction d’un ensemble de relations de pouvoir. On peut présumer à quel point ces deux positions paradigmatiques aboutissent à des conceptions radicalement différentes de la question trans*, des nominations différentes, mais aussi des conceptions et pratiques différentes de la prise en soin. Dans cet article, nous nous inscrivons dans le deuxième paradigme, celui de la diversité, et nous dégagerons des pistes pour un travail psychothérapeutique auprès des personnes trans*.

Le paradigme est un choix politique, philosophique et éthique qui s’exprime actuellement autour de deux questions, la nosologie psychiatrique et médicale et les critiques des associations de patients et de cliniciens sur les maltraitances du système de santé, surtout le système psychiatrique et psychologique.

En effet, une maltraitance, entre autres liée à la psychiatrisation des personnes transgenres qui sont vues comme des malades et traitées comme tels, a été dénoncée tant par les personnes concernées que par les praticiens (Bize et al., 2011 ; May, 2002 ; Namaste, 2000 ; Sironi, 2003). Dans les pratiques actuelles, les psychiatres et psychologues sont surtout utilisés durant le processus d’évaluation des demandes pour une transition médicalisée du genre. Le système de santé leur demande d’identifier les candidats à des protocoles de traitement en fonction de critères tels que leur sexualité, l’histoire de vie qu’ils racontent, des tests mesurant leur degré de masculinité/féminité, leur âge et leur orientation sexuelle. Lorsqu’une personne transgenre ou transsexuelle s’adresse à un psychologue ou un psychiatre, elle se trouve d’emblée dans une position de demandeuse, mais aussi dans un contexte de suspicion. Non seulement cette perspective amplifie les difficultés des personnes transgenres, mais nuit également à toute alliance de travail en psychologie. Le climat de défiance mutuelle qui est actuellement répandu annihile toute possibilité de construire la relation à la base de notre travail. Ces approches augmentent la culpabilité et l’anxiété dans des contextes où il serait plus pertinent d’offrir une possibilité de se penser, de se dire, d’expérimenter un accueil et de développer une forme d’amour de soi.

Au plan des nosologies, le débat est d’actualité dans le contexte des révisions des deux manuels principaux, le DSM et la CIM. L’enjeu autour de la question trans* est aujourd’hui très proche du changement de positionnement de l’APA (American Psychological Association), il y a maintenant une trentaine d’années, au sujet de l’homosexualité. La version 5 du DSM qui vient de sortir a opté pour maintenir la question trans* au sein des troubles de la sexualité, mais en changeant les critères et appellations. De son côté, la CIM qui est en cours de révision offre plusieurs possibilités qui sont en ballotement, allant du maintien dans la classification comme trouble mental (actuel), à la sortie de la nosologie. Question fort délicate car les enjeux économiques et assécuro-logiques majeurs entourent cette question.

Ce n’est pas uniquement la clinique qui change, les demandes des personnes concernées également. Ces demandes sont en mutation et plusieurs auteurs, théoriciens ou praticiens travaillant avec cette population ont affirmé que la transsexualité classique n’était plus LE modèle, mais qu’une fluidité des genres se profilait comme un possible social et psychologique (Bolin, 1994 ; Bockting & Coleman, 1993 ; Ekins & King, 1997). Ce changement social est de plus en plus visible et nous faisons le même constat en Suisse romande, où les demandes des usagers trans* ne se focalisent plus sur une transition classique avec réassignation chirurgicale du sexe. Ces changements entraînent, par rebond, des modifications également dans les pratiques thérapeutiques. Les personnes demandent moins de « changer de sexe » et demandent aussi moins de chirurgies reconstructives, ou le demandent pour d’autres raisons que celles évoquées traditionnellement dans la littérature, soit l’impression de ne pas être dans le bon corps. Une de ces raisons est de pouvoir changer d’identité sociale (6) et de vivre en paix dans la société telle qu’elle est. Les nouveaux comportements et nouvelles demandes allant dans le sens de la variété du genre appellent « une approche plus individualisée, centrée sur le sujet, plutôt que l’application d’un protocole standardisé de réassignation sexuelle » (Bockting, 2008, p. 212).

Ce changement social ne peut faire l’économie d’un changement dans le rôle du clinicien. Ce dernier, pour des raisons à la fois éthiques et tout simplement par le fait d’être poussé par la demande des usagers, va devoir passer du rôle de gardien de l’accès aux soins – ce que le paradigme de la dichotomie et de la transsexualité finit par lui imposer – à un rôle d’accompagnateur et de facilitateur du bien-être, de l’acceptation de soi et du coming out. Comme le note Bockting (2008), les suivis de personnes trans* ne sont plus seulement liés aux transitions transsexuelles, lesquelles du moins ne sont plus envisagées comme devant être complètes et ayant la visée de reconstruire des corps de femmes. Au contraire, il semble qu’un mouvement d’affirmation transgenre, tel qu’il se structure et s’impose depuis quelques années, amène à des demandes de modifications partielles des corps, des expériences de soi plus transgenres que transsexuelles. Ainsi, les grandes typologies classiques de transsexuelles et transvesties ne semblent plus appropriées dans tous les cas. Le clinicien, dans son travail d’accompagnement et de soin, sera donc amené à s’adapter aux demandes et parcours individuels, marquant ainsi la fin des protocoles standardisés tels que pratiqués dans la plupart des centres hospitaliers en Occident. La posture clinique basée sur la diversité du genre reste encore minoritaire dans les pratiques.

Ainsi, sous l’impulsion des critiques adressées aux pratiques « psys » et de la remise en question des experts « psys », de nouvelles pratiques cliniques s’organisent, y compris dans le monde francophone, comme l’expérience mise sur pied au Centre Georges Devereux en France (1996-2001) ou à Lausanne sous la conduite de la Fondation Agnodice (depuis 2007). Ces pratiques sont issues de courants théoriques aussi divers que l’approche centrée sur la personne, la thérapie systémique postmoderne, l’ethnopsychiatrie et la sexoanalyse constructiviste. Elles ont toutefois en commun de s’inscrire dans une vision postmoderne de la fluidité et de la performativité du genre et donc de s’inspirer d‘un mouvement de réflexions critiques sur ce qu’est le genre, un mouvement qui le décrit comme une construction, une mise en scène et une expression de soi qui peut être multiple et variable.

[…]

Objectifs et fondements

[…] Mon travail sur la diversité s’ancre dans un socle théorique et philosophique qu’il semble nécessaire d’expliciter brièvement ici, et qui pourrait être résumé comme une position post-structuraliste constructiviste. La psychologie, comme science et comme pratique clinique, a longtemps considéré le positionnement clair et cohérent de l’identité de genre comme un précurseur de la santé psychique. En d’autres mots, la construction d’une identité de genre, masculine pour les hommes biologiques, et féminine pour les femmes, a été théorisée comme étant l’une des bases fondamentales de la stabilité psychique, de l’identité, voire de la pensée. Les théories freudiennes ont eu dans ce domaine une influence considérable. Or, elles sont de plus en plus remises en questions, non seulement par les mouvements associatifs de personnes concernées et par les évolutions de la société, mais aussi par le développement de travaux sur l’identité et sur la subjectivité. La subjectivité n’est plus conçue comme se développant en vase clos, mais dans une interrelation constante avec, d’une part, la corporéité et, d’autre part, les liens sociaux. Les travaux systémiques ainsi que ceux émanant de la philosophie post-structuraliste nous permettent de repenser ce que c’est que d’être un humain, quelle place prend la différence, comment se construire lorsque l’on est minoritaire et, finalement, ce qu’est l’expérience de vie et le développement de la subjectivité des personnes présentant des identités sexuelles et de genre différentes de la majorité. Les travaux actuels de la philosophe Rosy Braidotti (2002, 2005/2006) sur le devenir nomade, qui s’inspire à son tour de Deleuze & Guattari (1980), articulent les notions du minoritaire à celles de la subjectivité contemporaine. En ce sens ils peuvent nous offrir un cadre ontologique pour penser l’expérience trans* dans le devenir, le nomadisme et les territoires. Ces concepts, nous le verrons, se montrent particulièrement pertinents pour la thérapie auprès des personnes trans* puisqu’ils expriment avec une finesse particulière leur propre expérience du genre, leur subjectivité et sa complexité mouvante.

[…]

La formation des cliniciens

La formation des cliniciens qui souhaitent travailler auprès des personnes trans* devrait comprendre deux axes, celui des connaissances et celui des représentations (plus ou moins conscientes) du genre. Tout d’abord, les psychothérapeutes ne peuvent faire l’impasse sur le système social dans lequel les personnes trans* vivent. Ils devraient connaître leurs réalités sociales et expériencielles et comprendre l’importance des situations de discrimination dans la construction de la subjectivité. Ils devaient également connaître les enjeux médicaux, chirurgicaux, hormonaux et travailler en réseau avec les autres professionnels impliqués et dans une perspective plus large que celle de la transition transsexuelle. De plus, dans l’accompagnement des personnes trans*, des étapes semblent se dessiner dans la plupart des suivis. Les attitudes du thérapeute ainsi que les sujets à travailler évoluent en fonction de ces étapes car au fond, accompagner les personnes trans* s’apparente d’une certaine manière à une maïeutique où un individu naît à soi-même.

[…]

Dans le second axe de la formation, les cliniciens devraient effectuer un travail réflexif et autoréflexif sur leur rapport au genre et à la sexualité et les théories psychologiques qu’ils ont apprises et construites. L’enjeu central dans la prise en charge clinique des personnes trans* est surtout relationnel et intersubjectif. Le genre atypique peut parfois empêcher de penser en dehors de ce que nous pouvons percevoir comme discordant par rapport à nos propres schèmes mentaux et culturels. Ainsi, les cliniciens sont souvent obnubilés par ce qu’ils voient et ne comprennent pas, leur attention se focalise à outrance sur le genre qu’ils envisagent comme un signe d’anomalie et qui prend toute la place. Or, le travail clinique serait justement d’opérer le retournement et de voir la personne derrière le genre, de construire avec ceux qui consultent une relation intersubjective authentique qui les mette dans une position d’existence. Les psychothérapeutes verraient derrière le genre autre chose que le genre : voir la personne, ses affects et sa manière de vivre son corps, son chemin pour trouver sa cohérence malgré la multiplicité.

Le genre n’est qu’un concept écran, secondaire, fruit d’un processus de traduction des multiples ressentis selon une grammaire binaire et d’une mise en actes, performance de ses normes. En d’autres mots, et pour paraphraser Maffessoli (2003), il s’agit pour le clinicien d’entrevoir que la « dimension quotidienne de la duplicité est, en fait, le signe flagrant de son aspect anthropologique ». Toute attitude clinique nécessite un travail autoréflexif sur les résonances et/ou réactions contre-transférentielles du clinicien. Ceci est d’autant plus nécessaire lorsqu’il s’agit d’être en relation avec des personnes qui remettent en question les impensés du genre et de la sexualité. Ce travail autoréflexif avec un accent particulier sur les questions de genre et de sexualité est incontournable. De même, le clinicien doit porter attention à ne pas faire passer ses théories, quelles que soient leurs origines, avant le vécu, le sien comme celui de l’autre en face de lui.

Pour conclure, changeons nos métaphores…

L’éthique de Braidotti qui prend en compte la nécessité de la souffrance pour devenir soi dans un processus moléculaire apporte, à mon sens, une vision plus réaliste et finalement, plus pragmatique pour les personnes trans*. La limite des transgenres est le regard de l’autre qui ne les autorise pas à être, ne les reconnaît pas. C’est une souffrance, mais comme les autres souffrances, elle peut être acceptée et dépassée : c’est aussi cela le devenir.

L’expérience transgenre est aussi un fantastique observatoire du contemporain, qui permet d’éclairer et de mettre en contraste l’expérience humaine du genre, de la sexualité, de la subjectivité. Si elle n’est pas vue d’emblée comme une pathologie, elle peut être vraiment opérante et riche, montrant les potentialités de l’être humain à transcender le genre […].

Pour se libérer du système de genre, les personnes qui se sentent différentes dans leur genre ont pris diverses voies et construit différents arrangements entre expérience intime du genre et manières de le performer tant aux plan social que corporel. […]

L’expérience subjective des personnes transgenres est un devenir et une mise en tension. Car être homme ou être femme, féminin ou masculin, n’est que ce que l’on en fait : c’est une performance au sens de Butler, un devenir au sens de Deleuze & Guattari. Cette mise en tension tient à cette expérience du genre qui oscille entre l’impression de devoir être unique et celle de se sentir plusieurs ; avec, au cœur de cette expérience, le paradoxe du besoin de reconnaissance dans le lien intersubjectif, à la fois moteur du devenir et objectif inatteignable. Comme l’expriment les personnes trans* que j’ai rencontrées, il n’y a pas de place pour qui il.le.s sont, qui il.le.s se sentent être. Le devenir transgenre devient ainsi un voyage sans port d’arrivée.

Pour une large part, le système dominant en clinique se rattache encore au paradigme de la dichotomie, à la naturalisation du genre et à sa médicalisation, à la transexual narrative et à des pratiques décrites comme maltraitantes. De plus, la clinique « psy* » dans ses théories et ses pratiques a peut-être tendance à se développer en vase clos, faisant fi des autres courants de pensée en sciences humaines et en s’inscrivant au plus proche de la médecine et des sciences qui manipulent des objets plus tangibles et mesurables, ce qui l’écarte des réalités sociales et donc aussi psychologiques de ses usagers. La posture clinique basée sur la diversité du genre reste encore minoritaire dans les pratiques. Elle est également encore peu élaborée au niveau des théories cliniques, même si d’autres champs comme la sociologie, la philosophie et les études genre l’ont développée depuis longtemps. Il lui manque surtout un ancrage cohérent au plan théorique, épistémologique et phénoménologique dans une théorie de l’humain comme agent qui soit adaptée au contemporain. Mais elle est en chemin, poussée par l’exigence de ses usagers qui ne veulent plus être ni traités ni maltraités, qui veulent être sujets de leur vie, tout simplement.

Par l’acceptation de soi dans la différence, les personnes transgenres vont peut-être, non pas trouver, mais inventer et montrer une nouvelle voie, celle des métis transgenres qui ont cessé de se penser comme pathologiques et qui s’imposent dans leur droit à l’existence entière, faisant fi des distinctions entre naturel et non naturel, entre hommes et femmes. Et nous, psychothérapeutes, nous pouvons les y accompagner dans le chemin que nous connaissons : celui de l’acceptation de soi dans la complexité.

Pour conclure, je souhaite reprendre les mots de Claude Esturgie, qui expriment un point de vue que je partage :

« Quelles qu’elles soient, il faut comprendre les théories sur le genre et la sexualité comme des hypothèses, voire des fictions, et non comme des explications scientifiques ou des vérités dogmatiques : elles permettent seulement de proposer une grille de lecture et doivent toujours s’effacer devant la complexité des phénomènes vivants. Mais elles sont en même temps une trame sur laquelle le thérapeute et son patient (celui qui souffre) vont tenter, à la demande de ce dernier, de modifier son mythe personnel dans la cocréation éventuelle d’un nouveau mythe, plus habitable, grâce à un travail commun de déconstruction-reconstruction narrative. » (Esturgie, 2008, pp. 133-134).

Au mythe de l’erreur sur le corps peuvent se substituer ceux du nomadisme, des métissages, des voyages, des territoires à explorer, pour mettre du mouvement dans les expériences de vie bloquées dans un système de genre et une médicalisation qui ne les reconnaissent pas. Et, peut-être… retrouver un sens de soi positif, incarné, vivant, ancré, en devenir.


(1) J’utiliserai le terme de trans* pour parler de toutes manifestations de subjectivités transgenres (transgenres, transsexuels, transvestis, androgynes, non identifiés…).

(2) Qui pense en termes de dichotomie la différence masculin/féminin.

(3) Ces travaux bien connus dans le monde trans* en sont un exemple parlant. Ils visent à justifier la vérité de l’erreur sur le corps.

(4) Le concept de transidentité, utilisé en France, décentre de l’aspect « trouble » au profit de l’aspect identitaire et culturel. Je ne l’utilise pas dans le cadre de cet article, car il implique une identification, une appartenance à un groupe ce qui n’est pas forcément le cas pour nombre de personnes concernées par la subjectivité et le devenir trans. Je lui préfère le mot « transgenre » ou trans qui renvoie à une subjectivité du genre ou à une performance du genre sans toutefois la placer dans le registre de l’identité.

(5) L’anthropologue Herdt (1994) propose de questionner l’essentialisation du dimorphisme sexuel, telle que notre culture occidentale la défend et de déconstruire ce supposé « sens commun ». Parmi les travaux pionniers sur la déconstruction du genre en psychologie on retrouve ceux de Kessler & McKenna (1978) qui ont analysé les critères utilisés dans différents sous-groupes culturels pour distinguer les sexes. Dans le champ des études sur la sexualité, les travaux du sociologue Weeks (1987) axés sur l’homosexualité, ont introduit la notion de constructionnisme social. Weeks a ainsi ouvert tout un domaine d’étude qui a débouché sur de nouvelles conceptions du sexe et du genre encore peu diffusées en psychologie.

(6) Ce qui nécessite souvent une stérilisation définitive et donc chirurgicale, en d’autres mots une chirurgie de changement de sexe.

(7) Female to Male : désigne les personnes assignées au féminin à la naissance et désirant un genre plus masculin.


Jeunes trans et non binaires - livre couverture

Pour poursuivre sur le sujet :

Jeunes trans et non binaires
De l’accompagnement à l’affirmation

— sous la direction de Denise Medico et Annie Pullen Sansfaçon

Livre paru en juillet 2021.

Présentation sur le site de l’éditeur.

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